D'abord le verbe devint silence parce qu'ainsi devait être la condition du commencement.



Des formes jusque là distinctes et comptables fondirent en un objet-masse acclamant avec enthousiasme les éléments familiers d’un son propagé en décibels lourds et autoritaires : on ne discuta plus. En face, assez haut, quelques dignitaires motivaient le public dans un registre offrant un sens global 'identifications émotionnelles. Les vagues de sons s’appuyaient ici, et là sur les expressions semi-manufacturées de la masse, se tassaient dans les interstices et procédaient par ritournelles à la réalisation de leur valeur référentielle. Les regards saisis par le mouvement d’un corps déployé dans l’espace devant soi ingéraient la sensation d’un pouvoir acquis dans la chaleur et les grondements des soupirs, la douleur étranglée jusqu’au règne dans une frustration dégoulinant en cris sourds et stridents. L’acte accompli, la condition s’individualisait et chacun pensait à nouveau à l'occupation de son quotidien.



Le nombre de la masse vacillait dangereusement une fois les chairs remises à leurs solitudes. On avait prévu qu'il y aurait des choses à consommer et des cachets qui signifiaient qu’on assumerait la responsabilité de ce qui serait payé y avaient été déposés. Un prix, un gage de qualité, une idée bien plaisante...



L’entendement était illusoire et on le contrariait avec peu de rationalité. Les dignitaires n’étaient pas plus doués des qualités de l’intelligence, de l’art, d'un génie naturellement citoyen, mais ils exploitaient les savoirs, détournaient les contradictions, étouffaient la vérité. Pour gagner plus, détenir plus... il n'y avait pas de limite. Alors on s’insurgeait contre l'ampleur des marges et l'abus des financements.



Des figures sans le sou capitalisable avaient su se rendre populaires en assurant de la publicité pour les dignitaires. Installés dans des réseaux hiérarchisés, ces nouveaux individus gobaient par grands traits duplicables des images qu'ils recrachaient avec un zèle de rigueur amoureuse qu'on prenait pour du professionnalisme. De l'opportunisme, de la prostitution, du fanatisme, de l'autorité et de la soumission. On maintenait ce système promotionnel à moindre coût qui s’attaquait avec la violence de l’usure à la puissance de ceux qui défiaient l'illusion. Par brassées démagogiques, on réussit à mêler les opposants à la masse des pratiquants. On avait parlé méritocratie dans un charabia technicisé d'émotions et on répondait à présent en chœur contre d'injustes idées, dans un fraternel brayage au nom des droits des anonymes et des petites gens.



Les conflits ainsi disparus, l'essentielle différence devait être fixée : les dignitaires, dans leur relation à la masse des autres, ne devaient pas en être. Il s’agissait par distinction de manifester avec force les formes combatives ou rassurantes de l’empathie : l'affirmation des dominations se jouait dans les zones grises de la rencontre des cœurs et dans la croyance généralisée que chacun avait dans son individualité le pouvoir originel, celui qui ouvre la porte du succès. La question des inégalités, de la pauvreté, des discriminations, ne pouvait risquer d'être résolue sans créer le malaise parmi les dignitaires. Alors on s'emparait des discours, on se laissait paraître et on trouvait ça bien utile :car parier sur l’enfumage d’un universalisme sans morale depuis que la vieille gouvernance Républicaine avait offert le la, c'était s'inscrire humainement dans le temps des éblouissements, de la patrie reconnaissante, de l’être rentable !



Ceux qui s’occupaient, frustrés comme ils le pouvaient, avec tous leurs objets, se plaisaient à parler de liberté. Ils cherchaient à bout de souffle la grâce statutaire seulement rien n'y faisait, c’était trafiqué.



Entre les dignitaires et la masse, on gueulait qu’il y avait l’égalité à réclamer. Et que les dignitaires exprimaient l’inné. Le droit occupait une place nuancée voire incapable et on savait être violent. Le grand combat se situait là,intestinal, révolutionnaire, fourbe, glorieux, malhonnête,irresponsable. Aux principe d'une justice, un porte-feuilles dans l’estomac, avec une représentation de soi.